C'est
donc sur internet que j'ai trouvé mon poison. J'ai attendu de le
recevoir avec impatience durant plusieurs jours. Tous le temps, je me
faisais le même film dans la tête. « Quand il rentrera, tu
auras préparé à manger, son assiette sera remplie et tu y auras
ajouté ton poison. Il engloutira son plat sans se poser de question
car il te fait une confiance aveugle ».
Le
jour venu, tout s'est déroulé comme prévu. Je lui avais fait une
blanquette de veau, et au moment de le servir, il était assis dos à
moi, j'ai ouvert ma petite fiole avec le poison dedans. Ce n'était
pas liquide c'était de la poudre noirâtre, comme du poivre.
« Merde, il n'aime pas le poivre ! Il ne le mangera pas ».
Je me décidais quand même de lui servir son assiette tout en
prenant soin de ne pas me tromper de plat.
« Mais
Mélanie, t'as mis du poivre, tu sais que j'aime pas !
-Goute avant de faire chier, tu ne vas même pas le sentir.
Et
évidemment, il a répondu :
-D'accord,
chérie ».
Il a
englouti le plat en précisant qu'en effet on ne sentait pas du tout
le poivre. Je le voyais mastiquer, il soufflait comme un bœuf entre
chaque bouchée, il sauçait, encore et encore, il absorbait, c'était
interminable. Mais je supportais. « Plus qu'une demi-heure.
Plus qu'une demi-heure et il va me clapser entre les doigts.
J'attendrai dix minutes et j'appellerai les secours ».
Sauf
que mon plan parfait a commencé à prendre une autre tournure. La
demi-heure passait, et il ne s'était toujours rien produit. Je le
regardais, je scrutais le moindre mouvement, le moindre mimique, rien
ne changeait. Il finit par me demander :
« -Pourquoi
tu me regardes comme ça ?
- Pour
rien, je n’ai pas le droit de te regarder maintenant ?
-Oui,
oui pardon chérie.
-Tu
commences vraiment à m'emmerder avec tes « oui oui » et
tes « d'accord chérie » c'est à quel moment que tu vas
te demander si tes couilles sont bien accrochées, hein ? »
J'avais
commencé à lui beugler dessus et il me regardait d'un air étonné,
les yeux grands ouverts, il ne comprenait pas, il était comme un
élève à qui l'on demandait de répéter ce que le professeur
venait de dire et qui n'avait rien écouté.
« -Excuse-moi
chérie, ne t'énerve pas, pardon...
-T'es
vraiment qu'un gros connard de merde, tu ne comprends rien, rien du
tout, et dégage de la , sinon, je te jure, je te jure... je
t'enfonce cette putain de fourchette entre les yeux !
-D'accord,
je vais faire un tour aux toilettes. »
Je me
rendais compte de l'enfer de la situation. Ma main était crispée
sur la fameuse fourchette, mes doigts en étaient devenus rougis. Sur
le creux de mon assiette je remarquais le reflet de mon visage. Mes
traits étaient déformés par la rage. « Il faut qu'il crève,
il faut qu'il crève ». Il attendait quoi pour crever ?
J'avais attendu trop longtemps, il n'allait pas continuer à me
pomper l'air ce n'était plus possible. Je ruminais dans mon coin, je
ruminais, je ruminais, je ruminais, et mon cerveau commençait à
sérieusement s'enfumer. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, je ne
sais pas par quel raisonnement j'en suis venue à ça mais j'ai fini
par me retrouver devant la porte des toilettes avec le grand couteau
de cuisine à la main. J'ai commencé par susurrer à la porte,
demander pardon à Raphael de m'être ainsi énervée, et je lui
demandais de sortir. « Tant pis, je le poignarderai »,
me disais-je. Mais il ne sortait pas, il ne répondait pas. Du coup,
je me suis mise à tambouriner la porte, à crier, mais il ne
répondait toujours pas. J'en venais à me dire que le poison avait
peut-être fait effet et qu'il était peut-être mort là, dans les
toilettes ? Mais si ce n'était pas le cas ? S’il se
réveillait et qu'il me jouait un mauvais tour ? Il fallait que
je rentre. Je commençais donc à le menacer de tout péter, de
défoncer la porte. Pas de réponse. Dans un excès de rage, je
parvins enfin à démonter la porte. Et là, je le retrouvais,
Raphael, gisant sur le trône, le pantalon baissé aux pieds, les
bras ballants, assis de travers, et les yeux grands ouverts. Je
m'approchais de lui avec précaution. « Raphael ?
Raphael ? » Dis-je d'une voix tremblotante. Pas de
réaction. J'étais tout près de lui, je regardais ses yeux qui eux,
regardaient dans le vide. Je passais ma main devant eux, aucun
réflexe. Et enfin, je me mis à écouter. J'écoutais autours de
moi. Un silence d'or régnait, aucun bruit, pas même un bruit de
respiration... Ouf. Il était enfin mort.
Tout à
coup, je sentis une main attraper mon bras. Je n'ai pas pu m’empêcher
de hurler comme une dératée. C'était quoi ?? D'où ça
venait ? Comment était-ce possible ? Et là j'entendis la
voix de Raphael qui essayait de s'échapper du fin fond de son corps
« aide-moi ! » grogna-t ‘il, sa main toujours
agrippée à mon bras. Merde ! Merde, il n'était pas mort !
Mais comment était-ce possible ? Comment Raphael pouvait autant
s'accrocher à la vie, en voyant ce qu'il en faisait ? Ca en
était trop ! Trop ! Je n'allais pas m'arrêter en si bon
chemin. C'est avec la force de mes bras que j'en finirais ! Je
passais donc mes mains autour de son coup et commençais à serrer,
serrer. Il devenait tout rouge, de plus en plus rouge, il commençait
à virer au violet, c'était prodigieux. Mais Raphael avait des
ressources et il se mit à se débattre comme un dératé. Il lançait
des coups dans tous les sens, ses bras et ses jambes étaient
incontrôlables, et dans un énième accès d'énergie, il réussit à
m'en coller une en pleine face, qui me força à lâcher prise et
m'envoya en dehors de la pièce. Je suis restée sonnée quelques
secondes, quelques minutes, je ne sais pas. Ce que je sais c'est
qu'entre temps, lui, avait repris des couleurs et commençait même à
se mettre debout. Je ne sais pas s’il réalisait ce qu'il se
passait autour de lui, je ne sais pas s’il se rendait compte de mes
intentions, jusqu'à quel stade il était drogué par le poison et
hébété par l'étranglement, mais je voyais qu'il reprenait des
forces, et que si je ne l'assaillais pas d'un dernier coup, il en
finirait avec moi. Je me suis rappelée du couteau que j'avais laissé
à l'entrée des toilettes mais je ne le trouvais plus. Dans la
panique il avait surement du glisser dans le couloir, je ne sais
pas... Ce que je peux dire c'est que j'étais encore à terre quand
il parvint enfin à se redresser sur ses deux pattes. Il était
debout, là, la tête rouge comme une tomate, tout chancelant et
tremblant, vacillant sur ses cannes comme une pauvre biche, le
pantalon encore à ses pieds, il n'avait vraiment pas fière allure.
C'est à ce moment-là, qu'il a fait un pas en avant, je ne sais pas
comment, je ne sais pas par quel hasard, mais il n'a pas tenu, il a
glissé et il est tombé sur le côté, il s'est cogné la tête, et
a fini le visage en plein dans la cuvette des toilettes. Je l'ai vu
se débattre quelques secondes, son corps se contracter et d'un
coup, tout s'est relâché. A cet instant, j'ai compris que c'était
bel et bien fini...
-
D'accord, bien. Nous dirons simplement au juge qu'il est mort par
noyade, alors, hein.
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