vendredi 15 janvier 2016

Nuit de cauchemar part.1


-Je dois dire quoi ?
-Recommencez depuis le début. Le moindre détail pourra intéresser le jury.
-Le début, le début... C'est assez compliqué de vraiment situer un début... On va dire que le début c'est quand notre liaison a commencé à se dégrader à Raphael et moi. Ca faisait quand même quatre ans qu'on était en couple, et on vivait ensemble depuis un moment. Mais la relation avait changé. Je devais peut-être être complètement aveuglée au début, mais les petits détails que je trouvais charmants chez lui, avaient fini par m'insupporter.
Je ne supportais par exemple, plus sa façon nonchalante de trainer des pieds. J'avais envie de lui crier dessus. « Lève tes putains de pieds quand tu marches ! ». Puis, un truc insupportable, il avait une façon de mastiquer particulièrement horripilante. J’appréhendais chaque instant où il mangerait quelque chose, j'étais par avance dégoutée par le moment où j'entendrais ce son crispant de mastication, de déglutition. J'en devenais tendue, extrêmement stressée. Et chaque repas devenait un drame. Le pauvre, je lui concède bien qu'il avait dû me voir lui tomber dessus plus d'une fois sans trop comprendre pourquoi. Mais c'était au-delà de mes forces. Puis, tous ces détails du quotidien qui s'accumulaient... Il ne nettoyait jamais les toilettes, il répondait à ses sms quand je lui parlais, il utilisait tout le temps ma brosse à dents, il me forçait à tester de la nourriture bio que je n'aimais pas... Je sais que c'est très peu mais à la longue mes journées sont devenues extrêmement pesantes. Pourtant c'était un gentil garçon, et quelque chose me retenait de le quitter. Je me disais que j'en faisais trop et qu'il fallait que je me calme. Mais ma hantise n'a fait qu'augmenter.
J'ai, plus tard commencé à me rendre compte que monsieur n'avait d'opinion pour rien. Que depuis le début il répondait « oui, oui » à tout ce que je disais, non pas par ce qu'on était en connivence totale, mais par ce qu'il ne voulait pas débattre ou tout simplement parce qu'il ne voulait pas faire l'effort de réfléchir. Constamment, il me répondait « oui, oui ». Pour tout ! « On invite des copains à diner ce soir ? » « Tu penses quoi toi de la situation en Palestine ? » « On prend un appart ensemble ? » Tous les sujets qui pourraient pousser un couple à l'échange et au débat voir même à la dispute, coulaient sur lui. Au début c'était très agréable car je pouvais faire ce que je voulais sans qu'il n'y ait trop de vague. Puis, au bout d’un moment, c'est devenu infernal. J'avais envie de le secouer, de le gifler, de le griffer, de le mordre, de lui faire mal, physiquement, je voulais l'affaiblir, afin de le voir enfin crier, qu'il ait une réaction qui lui soit propre. Je le détestais, et je ne pouvais pas le lui dire parce qu'il continuait à être accommodant. A ce moment-là, peut-être que j'aurais dû le quitter. Mais je ne l'ai pas fait. Je voyais tout mon entourage, toute ma famille, mes amis, s'extasier devant un homme aussi extraordinaire, serviable et gentil. J'avais beau insinuer aux gens que mon quotidien était épouvantable, on balayait mes commentaires d'un revers de la main. « Tu es vraiment une chieuse toi, hein ! Tu as trouvé l'homme parfait » « Il est utile, il ne te trompe pas, il ne te bat pas, qu'est-ce que tu veux de plus ? ». Du coup, j'ai fini par me sentir coupable. Coupable d'être une chieuse et une connasse, incapable de se contenter de ce qu'elle a. Et S’ils avaient raison ? Et si Raphael était l'homme parfait, et si je n'étais pas capable de l'apprécier à sa juste valeur, ça signifiait que je ne pourrais jamais trouver le bonheur ? Je ne voulais pas être considérée comme une éternelle insatisfaite. J'ai donc continué à me forcer. Chaque instant me rapprochait de plus en plus de l'hystérie. Je n'en pouvais plus, j'étais incapable de prendre une décision raisonnable.
Alors, j'ai commencé à regarder sur internet. D'abord innocemment, sur les forums, je regardais les conversations des gens. « Comment supporter son conjoint » « je ne peux plus supporter mon mari » « je n'arrive pas à quitter mon mari»
Je passais des heures là-dessus, naviguant de forum en forum...
Puis un jour, je ne sais pas comment, je ne sais pas où, j'ai vu que quelqu'un conseillait de s'en débarrasser. Ça a été une sorte d'illumination. Une bouée de sauvetage qui surgissait quand je commençais à sérieusement sombrer. Si l'on ne supporte plus la personne avec qui l'on est parti pour partager sa vie, mais si techniquement on ne peut pas le quitter, le plus simple est peut-être de se débarrasser de cette personne-là ? Puis, bêtement, j'ai commencé à me raccrocher à cette idée, « je vais me débarrasser de Raphael. Je le tuerai et ma vie rentrera dans l'ordre ». Je devais juste trouver la mort idéale qui ne laisserait aucun soupçon à mon sujet. Faire disparaître le corps me semblait compliqué. Il était plus fort que moi et je n'aurais jamais réussi à le soulever. Simuler un accident pouvait être intéressant, mais je ne suis pas née de la dernière pluie, et je savais qu'un détail pouvait m'échapper à tout moment si je lui roulais dessus en pleine nuit, ou si je le poignardais, par exemple... Faire croire à un suicide était impossible, Raphael était tellement creux et vide qu'il n'aurait jamais eu le cran ne serait-ce que de penser à cette éventualité.
Non, il fallait que je fasse passer sa mort pour naturelle. Et pour ça, je ne voyais pas d'autres solutions. Je devais l'empoisonner. J'avais entendu parler d'un poison qui dans la demi-heure qui suivait, tuait son consommateur, en provoquant une sorte de crise cardiaque. Les effets sont tellement similaires, que les médecins légistes ne vont pas chercher plus loin. C'était celui-là qu'il me fallait. La quête de ce poison a pris un peu de temps, mais c'était l'espoir quotidien qui me faisait supporter cet enfer. Les repas étaient toujours aussi insupportables, les conversations demeuraient insignifiantes, mais à présent j'avais un but. Je le tuerais.

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