-Je
dois dire quoi ?
-Recommencez
depuis le début. Le moindre détail pourra intéresser le jury.
-Le
début, le début... C'est assez compliqué de vraiment situer un
début... On va dire que le début c'est quand notre liaison a
commencé à se dégrader à Raphael et moi. Ca faisait quand même
quatre ans qu'on était en couple, et on vivait ensemble depuis un
moment. Mais la relation avait changé. Je devais peut-être être
complètement aveuglée au début, mais les petits détails que je
trouvais charmants chez lui, avaient fini par m'insupporter.
Je ne
supportais par exemple, plus sa façon nonchalante de trainer des
pieds. J'avais envie de lui crier dessus. « Lève tes putains
de pieds quand tu marches ! ». Puis, un truc
insupportable, il avait une façon de mastiquer particulièrement
horripilante. J’appréhendais chaque instant où il mangerait
quelque chose, j'étais par avance dégoutée par le moment où
j'entendrais ce son crispant de mastication, de déglutition. J'en
devenais tendue, extrêmement stressée. Et chaque repas devenait un
drame. Le pauvre, je lui concède bien qu'il avait dû me voir lui
tomber dessus plus d'une fois sans trop comprendre pourquoi. Mais
c'était au-delà de mes forces. Puis, tous ces détails du quotidien
qui s'accumulaient... Il ne nettoyait jamais les toilettes, il
répondait à ses sms quand je lui parlais, il utilisait tout le
temps ma brosse à dents, il me forçait à tester de la nourriture
bio que je n'aimais pas... Je sais que c'est très peu mais à la
longue mes journées sont devenues extrêmement pesantes. Pourtant
c'était un gentil garçon, et quelque chose me retenait de le
quitter. Je me disais que j'en faisais trop et qu'il fallait que je
me calme. Mais ma hantise n'a fait qu'augmenter.
J'ai,
plus tard commencé à me rendre compte que monsieur n'avait
d'opinion pour rien. Que depuis le début il répondait « oui,
oui » à tout ce que je disais, non pas par ce qu'on était en
connivence totale, mais par ce qu'il ne voulait pas débattre ou tout
simplement parce qu'il ne voulait pas faire l'effort de réfléchir.
Constamment, il me répondait « oui, oui ». Pour tout !
« On invite des copains à diner ce soir ? » « Tu
penses quoi toi de la situation en Palestine ? » « On
prend un appart ensemble ? » Tous les sujets qui
pourraient pousser un couple à l'échange et au débat voir même à
la dispute, coulaient sur lui. Au début c'était très agréable car
je pouvais faire ce que je voulais sans qu'il n'y ait trop de vague.
Puis, au bout d’un moment, c'est devenu infernal. J'avais envie de
le secouer, de le gifler, de le griffer, de le mordre, de lui faire
mal, physiquement, je voulais l'affaiblir, afin de le voir enfin
crier, qu'il ait une réaction qui lui soit propre. Je le détestais,
et je ne pouvais pas le lui dire parce qu'il continuait à être
accommodant. A ce moment-là, peut-être que j'aurais dû le quitter.
Mais je ne l'ai pas fait. Je voyais tout mon entourage, toute ma
famille, mes amis, s'extasier devant un homme aussi extraordinaire,
serviable et gentil. J'avais beau insinuer aux gens que mon quotidien
était épouvantable, on balayait mes commentaires d'un revers de la
main. « Tu es vraiment une chieuse toi, hein ! Tu as
trouvé l'homme parfait » « Il est utile, il ne te trompe
pas, il ne te bat pas, qu'est-ce que tu veux de plus ? ».
Du coup, j'ai fini par me sentir coupable. Coupable d'être une
chieuse et une connasse, incapable de se contenter de ce qu'elle a.
Et S’ils avaient raison ? Et si Raphael était l'homme
parfait, et si je n'étais pas capable de l'apprécier à sa juste
valeur, ça signifiait que je ne pourrais jamais trouver le bonheur ?
Je ne voulais pas être considérée comme une éternelle
insatisfaite. J'ai donc continué à me forcer. Chaque instant me
rapprochait de plus en plus de l'hystérie. Je n'en pouvais plus,
j'étais incapable de prendre une décision raisonnable.
Alors,
j'ai commencé à regarder sur internet. D'abord innocemment, sur les
forums, je regardais les conversations des gens. « Comment
supporter son conjoint » « je ne peux plus supporter mon
mari » « je n'arrive pas à quitter mon mari»
Je
passais des heures là-dessus, naviguant de forum en forum...
Puis
un jour, je ne sais pas comment, je ne sais pas où, j'ai vu que
quelqu'un conseillait de s'en débarrasser. Ça a été une sorte
d'illumination. Une bouée de sauvetage qui surgissait quand je
commençais à sérieusement sombrer. Si l'on ne supporte plus la
personne avec qui l'on est parti pour partager sa vie, mais si
techniquement on ne peut pas le quitter, le plus simple est peut-être
de se débarrasser de cette personne-là ? Puis, bêtement,
j'ai commencé à me raccrocher à cette idée, « je vais me
débarrasser de Raphael. Je le tuerai et ma vie rentrera dans
l'ordre ». Je devais juste trouver la mort idéale qui ne
laisserait aucun soupçon à mon sujet. Faire disparaître le corps
me semblait compliqué. Il était plus fort que moi et je n'aurais
jamais réussi à le soulever. Simuler un accident pouvait être
intéressant, mais je ne suis pas née de la dernière pluie, et je
savais qu'un détail pouvait m'échapper à tout moment si je lui
roulais dessus en pleine nuit, ou si je le poignardais, par
exemple... Faire croire à un suicide était impossible, Raphael
était tellement creux et vide qu'il n'aurait jamais eu le cran ne
serait-ce que de penser à cette éventualité.
Non,
il fallait que je fasse passer sa mort pour naturelle. Et pour ça,
je ne voyais pas d'autres solutions. Je devais l'empoisonner. J'avais
entendu parler d'un poison qui dans la demi-heure qui suivait, tuait
son consommateur, en provoquant une sorte de crise cardiaque. Les
effets sont tellement similaires, que les médecins légistes ne vont
pas chercher plus loin. C'était celui-là qu'il me fallait. La quête
de ce poison a pris un peu de temps, mais c'était l'espoir quotidien
qui me faisait supporter cet enfer. Les repas étaient toujours aussi
insupportables, les conversations demeuraient insignifiantes, mais à
présent j'avais un but. Je le tuerais.
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