vendredi 19 février 2016

C'était le projet d'une vie part II

Pour comprendre la seconde partie, il faut lire la première partie, qui est ici.



Mais alors pourquoi ? Pourquoi était-ce si compliqué ? Qu'avions nous fait de mal ? Le docteur nous expliqua qu'à ce niveau-là ce n'était plus de son ressort et que le problème était psychologique, qu'il devait y avoir un blocage quelque part. Je ne comprenais pas. Quoi comme blocage ? Insinuait-il que je faisais semblait de vouloir un enfant ? Que ce n'était pas mon souhait le plus cher ? Il m'expliqua qu'à force de penser à ça je faisais une obsession et une fixette. Il fallait que je prenne du recul et me relaxer. Alors, si je comprenais bien, si je n'arrivais pas à faire d'enfant à Eric, c'était à cause de moi. Parce qu'en souhaitant trop notre bonheur je l’anéantissais... ? Tout était de ma faute. Je n'avais jusqu'ici jamais autant pleuré de ma vie. Ma vie était un échec. J'avais vingt neufs ans, et toujours aucun enfant à l'horizon. Pourtant, dans mon entourage, ceux qui n'avaient à vingt-cinq ans aucune ambition, aucun projet d'enfant, commençaient à en avoir. Je voyais des gros ventres partout, toutes mes copines étaient enceintes, sauf moi. J'étais frustrée, malheureuse, mais je persévérerais, je n'abandonnerais pas, sinon ma vie n'aurait aucun sens.

Afin d'arranger la situation, et sous conseil de mon entourage, nous décidions d'aller voir un psy, Eric et moi. Le psy remarqua que notre couple désirait vraiment un enfant et constata mon anxiété. Il remarqua qu'en me mettant trop de pression, je m’empêchais d'accomplir mes objectifs essentiels. Il me suggéra quelques exercices de relaxation et de moins planifier, organiser nos ébats amoureux. Il me conseilla de prendre mon mal en patience, et de laisser faire le temps.
J'accomplis donc régulièrement ces séances de respiration et de yoga dès que je me sentais trop stressée ou angoissée. Mais, je ne pus me résoudre à arrêter d'arranger, cadrer, coordonner tout le reste.
Le temps était long, mais j'arrêtais de me plaindre et de me lamenter sur mon sort. Je commençais à accepter que oui, en effet, parfois on ne pouvait pas avoir la main mise sur absolument tout, et qu'il fallait laisser une place au hasard. C'était très dur. Mais après tout, j'étais en bonne santé, bien entourée, avec un métier qui me plaisait, le reste viendrait surement naturellement.
Je me disais que, quoi qu'il arrive, le jour où ça arriverait, quand je serais enceinte, de toutes façons, je le sentirais, par ce que je savais que j'avais un sixième sens. Alors, le jour où j'ai fait ma visite médicale du travail, je ne m'attendais pas à vivre une telle surprise. Comme la procédure le demandait, je devais uriner dans un flacon. Le docteur me demanda de patienter dans la salle d'attente afin d'analyser les premiers tests urinaires. Quand enfin il me fit rentrer dans son bureau il m'expliqua que tout semblait aux premiers abords de bien aller, mais que j'aurais pu le prévenir avant que j'étais enceinte. J'étais enceinte. Enceinte. Ces mots résonnaient dans ma tête. Il devait y avoir une erreur, je n'étais pas enceinte, je ne sentais rien.
Pourtant les résultats étaient évidents, et après une prise de sang, la réponse était claire, j'avais enfin quelque chose dans mon utérus. Le miracle s'était produit ! J'étais tellement heureuse ! J'attendis toute la journée qu’Éric rentre du travail pour lui annoncer la nouvelle : Nous allions avoir un bébé ! Nous allions enfin avoir notre Maria ! Il était ému aux larmes, et n'arrêtait pas de parler. « Il faut que nous préparions la chambre du bébé, il faut dès maintenant lui chercher une crèche ou l'inscrire, tu sais tout est très demandé, il faut aussi prévenir la famille et les amis ». Oui, oui, oui ! Il fallait tout préparer pour l'arrivée de la petite Maria.



Les neuf mois qui ont suivi m'ont pourtant bien fait déchanter, et mon euphorie s'est complètement évanouie. J'ai fait partie de ces femmes qui étaient terrassées par d'horribles nausées toute la journée. J'avais grossi comme une loutre par ce que je faisais de la rétention d'eau et à partir du 6ème mois, je ne pouvais plus m'asseoir dans la baignoire par ce que mes deux cuisses touchaient les côtés. Je ne pouvais plus aller travailler, d'une part les odeurs me faisaient vomir à tout bout de champ, d'autre part, j'avais de sérieuses difficultés à me mouvoir. Enfin, à cause des nuits atroces que je passais, je manquais cruellement de concentration et de sommeil. Après plusieurs bourdes au travail, j'ai donc été arrêtée au bout du quatrième mois. Je me disais au début que je pourrais profiter de ce temps libre pour peindre la chambre de Maria en rose, pour faire des balades en forêt, préparer des petits plats... Mais non. J'étais tellement fatiguée que je passais mes longues heures libres à me trainer entre le canapé et le lit, le lit et le canapé, tentant désespérément de trouver une position confortable. J'avais mal au dos, mon ventre me tirait constamment et j'avais d'atroces pulsions de sucré que personne ne pouvait assouvir par ce que j'étais toute seule coincée chez moi alors que tout le monde travaillait. Je m'ennuyais comme un rat, je regardais la télé mais à chaque fois je finissais par avoir envie de jeter la télécommande à travers l'écran tellement ça m'agaçait. J'attendais impatiemment qu’Éric rentre à la maison, qu'il me raconte toute sa journée, je voulais tout savoir en détail, pour avoir un contact avec l'extérieur et la réalité. Moi, je n'avais jamais rien à lui raconter. Maria bougeait peu, et quand j'essayais de lui parler, comme on voit dans les films, je me sentais mal à l'aise. J'avais du mal à me sentir connectée à ce bébé. Je n'en ressentais que les effets secondaires désagréables, mais malgré ma fatigue j'étais heureuse, par ce que je savais qu'après cette épreuve, j'aurais mon enfant entre les bras. Bien entendu, le jour venu, je n'ai pas voulu connaître le sexe de mon enfant, c'était inutile, je le savais déjà, je le sentais, ce serait une petite fille. Ce ne pourrait pas être autrement. S’il y avait bien une évidence dans toute cette histoire, c'était celle-là.

Le jour de l'accouchement devait être une délivrance après neuf mois fatigants, difficiles et ennuyeux. J'avais hâte que ma nouvelle vie commence enfin, et je voulais par ailleurs expulser ce bébé qui était resté bien trop longtemps au chaud. J'en avais marre de ressembler à une grosse truie bardée de vergetures, je voulais reprendre forme humaine. Malgré mes connaissances en la matière, l'accouchement fut long et laborieux, le docteur peu délicat, ne voyait pas l'utilité de me prévenir lorsqu’il prenait une décision concernant mon corps, et qu'il enfournait sa main entière dans mon vagin. C'était extrêmement désagréable. Je comprenais beaucoup mieux ces femmes qui en plus de la douleur devenaient violentes et insultantes car elles se sentaient violées dans leur intimité.
Enfin, bien plus tard, après des heures d'efforts de douleur, de sang et de transpiration, la délivrance vint. J'entendis les cris de mon bébé, et je n'en pouvais plus, je ne désirais qu'une seule chose : dormir. Je n'avais aucune force pour appréhender la chose, et même si l'excitation était forte, la fatigue prenait le dessus. Après l'avoir nettoyé, les infirmières vinrent le poser sur mon ventre disant cette phrase : « Félicitation, c'est un garçon ! Comment allez-vous appeler le petit bonhomme ? » Un garçon ? Il devait y avoir une erreur. Je levais la tête et vérifiais sur son corps. Il n'y avait pas de doute, Maria était un garçon. Je regardais l'infirmière, son stylo à la main, prête à remplir sa fiche. Je n'ai pas été capable de répondre, je me mis à éclater en gros sanglots. Eric, qui se tenait à côté de moi, lui dit que nous n'en avions pas encore parlé, que nous n'étions pas encore surs. Tout le monde prenait mes larmes pour des pleurs de joie et d'émotion, mais il n'en était rien. Je pleurais par ce que j'étais déçue. Eric prit le bébé dans ses bras et colla son tout petit visage face à moi histoire que je le regarde bien. La petite crevette faisait des grimaces de nouveau-né, et je me mis à l'observer plus attentivement. Eric avait les yeux brillants, ne pouvait s’empêcher de sourire, toucher le bébé. « J'ai un fils, j'ai un fils ! » s'exclama t'il. Je le regardais, je regardais ce bébé sans nom, blond aux yeux bleus, et je fondis en larmes de plus belle : « oui, et en plus il te ressemble ! ».

Ce n'est pas fini, la suite, mardi prochain!  


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