Mais
alors pourquoi ? Pourquoi était-ce si compliqué ?
Qu'avions nous fait de mal ? Le docteur nous expliqua qu'à ce
niveau-là ce n'était plus de son ressort et que le problème était
psychologique, qu'il devait y avoir un blocage quelque part. Je ne
comprenais pas. Quoi comme blocage ? Insinuait-il que je faisais
semblait de vouloir un enfant ? Que ce n'était pas mon souhait
le plus cher ? Il m'expliqua qu'à force de penser à ça je
faisais une obsession et une fixette. Il fallait que je prenne du
recul et me relaxer. Alors, si je comprenais bien, si je n'arrivais
pas à faire d'enfant à Eric, c'était à cause de moi. Parce qu'en
souhaitant trop notre bonheur je l’anéantissais... ? Tout
était de ma faute. Je n'avais jusqu'ici jamais autant pleuré de ma
vie. Ma vie était un échec. J'avais vingt neufs ans, et toujours
aucun enfant à l'horizon. Pourtant, dans mon entourage, ceux qui
n'avaient à vingt-cinq ans aucune ambition, aucun projet d'enfant,
commençaient à en avoir. Je voyais des gros ventres partout, toutes
mes copines étaient enceintes, sauf moi. J'étais frustrée,
malheureuse, mais je persévérerais, je n'abandonnerais pas, sinon
ma vie n'aurait aucun sens.
Afin
d'arranger la situation, et sous conseil de mon entourage, nous
décidions d'aller voir un psy, Eric et moi. Le psy remarqua que
notre couple désirait vraiment un enfant et constata mon anxiété.
Il remarqua qu'en me mettant trop de pression, je m’empêchais
d'accomplir mes objectifs essentiels. Il me suggéra quelques
exercices de relaxation et de moins planifier, organiser nos ébats
amoureux. Il me conseilla de prendre mon mal en patience, et de
laisser faire le temps.
J'accomplis
donc régulièrement ces séances de respiration et de yoga dès que
je me sentais trop stressée ou angoissée. Mais, je ne pus me
résoudre à arrêter d'arranger, cadrer, coordonner tout le reste.
Le
temps était long, mais j'arrêtais de me plaindre et de me lamenter
sur mon sort. Je commençais à accepter que oui, en effet, parfois
on ne pouvait pas avoir la main mise sur absolument tout, et qu'il
fallait laisser une place au hasard. C'était très dur. Mais après
tout, j'étais en bonne santé, bien entourée, avec un métier qui
me plaisait, le reste viendrait surement naturellement.
Je me
disais que, quoi qu'il arrive, le jour où ça arriverait, quand je
serais enceinte, de toutes façons, je le sentirais, par ce que je
savais que j'avais un sixième sens. Alors, le jour où j'ai fait ma
visite médicale du travail, je ne m'attendais pas à vivre une telle
surprise. Comme la procédure le demandait, je devais uriner dans un
flacon. Le docteur me demanda de patienter dans la salle d'attente
afin d'analyser les premiers tests urinaires. Quand enfin il me fit
rentrer dans son bureau il m'expliqua que tout semblait aux premiers
abords de bien aller, mais que j'aurais pu le prévenir avant que
j'étais enceinte. J'étais enceinte. Enceinte. Ces mots résonnaient
dans ma tête. Il devait y avoir une erreur, je n'étais pas
enceinte, je ne sentais rien.
Pourtant
les résultats étaient évidents, et après une prise de sang, la
réponse était claire, j'avais enfin quelque chose dans mon utérus.
Le miracle s'était produit ! J'étais tellement heureuse !
J'attendis toute la journée qu’Éric rentre du travail pour lui
annoncer la nouvelle : Nous allions avoir un bébé ! Nous
allions enfin avoir notre Maria ! Il était ému aux larmes, et
n'arrêtait pas de parler. « Il faut que nous préparions la
chambre du bébé, il faut dès maintenant lui chercher une crèche
ou l'inscrire, tu sais tout est très demandé, il faut aussi
prévenir la famille et les amis ». Oui, oui, oui ! Il
fallait tout préparer pour l'arrivée de la petite Maria.
Les
neuf mois qui ont suivi m'ont pourtant bien fait déchanter, et mon
euphorie s'est complètement évanouie. J'ai fait partie de ces
femmes qui étaient terrassées par d'horribles nausées toute la
journée. J'avais grossi comme une loutre par ce que je faisais de la
rétention d'eau et à partir du 6ème mois, je ne pouvais plus
m'asseoir dans la baignoire par ce que mes deux cuisses touchaient
les côtés. Je ne pouvais plus aller travailler, d'une part les
odeurs me faisaient vomir à tout bout de champ, d'autre part,
j'avais de sérieuses difficultés à me mouvoir. Enfin, à cause des
nuits atroces que je passais, je manquais cruellement de
concentration et de sommeil. Après plusieurs bourdes au travail,
j'ai donc été arrêtée au bout du quatrième mois. Je me disais au
début que je pourrais profiter de ce temps libre pour peindre la
chambre de Maria en rose, pour faire des balades en forêt, préparer
des petits plats... Mais non. J'étais tellement fatiguée que je
passais mes longues heures libres à me trainer entre le canapé et
le lit, le lit et le canapé, tentant désespérément de trouver une
position confortable. J'avais mal au dos, mon ventre me tirait
constamment et j'avais d'atroces pulsions de sucré que personne ne
pouvait assouvir par ce que j'étais toute seule coincée chez moi
alors que tout le monde travaillait. Je m'ennuyais comme un rat, je
regardais la télé mais à chaque fois je finissais par avoir envie
de jeter la télécommande à travers l'écran tellement ça
m'agaçait. J'attendais impatiemment qu’Éric rentre à la maison,
qu'il me raconte toute sa journée, je voulais tout savoir en détail,
pour avoir un contact avec l'extérieur et la réalité. Moi, je
n'avais jamais rien à lui raconter. Maria bougeait peu, et quand
j'essayais de lui parler, comme on voit dans les films, je me sentais
mal à l'aise. J'avais du mal à me sentir connectée à ce bébé.
Je n'en ressentais que les effets secondaires désagréables, mais
malgré ma fatigue j'étais heureuse, par ce que je savais qu'après
cette épreuve, j'aurais mon enfant entre les bras. Bien entendu, le
jour venu, je n'ai pas voulu connaître le sexe de mon enfant,
c'était inutile, je le savais déjà, je le sentais, ce serait une
petite fille. Ce ne pourrait pas être autrement. S’il y avait bien
une évidence dans toute cette histoire, c'était celle-là.
Le
jour de l'accouchement devait être une délivrance après neuf mois
fatigants, difficiles et ennuyeux. J'avais hâte que ma nouvelle vie
commence enfin, et je voulais par ailleurs expulser ce bébé qui
était resté bien trop longtemps au chaud. J'en avais marre de
ressembler à une grosse truie bardée de vergetures, je voulais
reprendre forme humaine. Malgré mes connaissances en la matière,
l'accouchement fut long et laborieux, le docteur peu délicat, ne
voyait pas l'utilité de me prévenir lorsqu’il prenait une
décision concernant mon corps, et qu'il enfournait sa main entière
dans mon vagin. C'était extrêmement désagréable. Je comprenais
beaucoup mieux ces femmes qui en plus de la douleur devenaient
violentes et insultantes car elles se sentaient violées dans leur
intimité.
Enfin,
bien plus tard, après des heures d'efforts de douleur, de sang et de
transpiration, la délivrance vint. J'entendis les cris de mon bébé,
et je n'en pouvais plus, je ne désirais qu'une seule chose :
dormir. Je n'avais aucune force pour appréhender la chose, et même
si l'excitation était forte, la fatigue prenait le dessus. Après
l'avoir nettoyé, les infirmières vinrent le poser sur mon ventre
disant cette phrase : « Félicitation, c'est un garçon !
Comment allez-vous appeler le petit bonhomme ? » Un
garçon ? Il devait y avoir une erreur. Je levais la tête et
vérifiais sur son corps. Il n'y avait pas de doute, Maria était un
garçon. Je regardais l'infirmière, son stylo à la main, prête à
remplir sa fiche. Je n'ai pas été capable de répondre, je me mis à
éclater en gros sanglots. Eric, qui se tenait à côté de moi, lui
dit que nous n'en avions pas encore parlé, que nous n'étions pas
encore surs. Tout le monde prenait mes larmes pour des pleurs de joie
et d'émotion, mais il n'en était rien. Je pleurais par ce que
j'étais déçue. Eric prit le bébé dans ses bras et colla son tout
petit visage face à moi histoire que je le regarde bien. La petite
crevette faisait des grimaces de nouveau-né, et je me mis à
l'observer plus attentivement. Eric avait les yeux brillants, ne
pouvait s’empêcher de sourire, toucher le bébé. « J'ai un
fils, j'ai un fils ! » s'exclama t'il. Je le regardais, je
regardais ce bébé sans nom, blond aux yeux bleus, et je fondis en
larmes de plus belle : « oui, et en plus il te
ressemble ! ».
Ce n'est pas fini, la suite, mardi prochain!
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